mardi 20 décembre 2011

Introduction de mon manuel de sculpture

J'ai écrit cette introduction il y a six ans, je ne sais plus exactement. Mais si je devais l'écrire aujourd'hui, au lieu de dire:
...."Parce qu’il faut  grimper,  toujours grimper, vers le feu qui dévore, vers la lumière qui aveugle, vers l’amour qui déchire, à  la recherche des étoiles, de l’impossible perfection, de l’éternité."  
Je dirais ceci:
....Parce qu'il faut avancer, toujours avancer, vers le feu,  qui nous réchauffe, vers la lumière, qui nous guide, vers l' Amour, qui panse nos plaies. 


Car aujourd'hui, l'idée de me faire dévorer, d'être déchirée et aveuglée, me glace le sang !



"Nietsche a dit : « deviens ce que tu es ».
Je suis : sculpteur autodidacte.

Pour devenir ce que je suis, il a fallu combattre ce que j’étais - ce qu’on avait voulu me faire croire que j’étais, ce qu'on avait voulu que je sois. Et ce combat de l’orchidée contre l’ortie m’a pris cinquante ans.
Mais ce n’est pas du temps perdu ; ce qu’on apprend tout seul, avec rage, haine, fureur, passion, désespoir, acharnement,  à contre courant du quotidien, sous l’œil sceptique d’un entourage qui vous prend pour une dingue parce que vous avez la tête tournée vers le ciel, vers l’étoile invisible qui vous guide, vers la petite lumière tremblante loin là-bas au bout du tunnel,  tout ce que vous apprenez de cette façon, vous donne une force inébranlable.
D’abord, parce que vous êtes partie travailler le matin, pendant des années, la mort dans l’âme, terrassée par l’ennui, avec la certitude de faire fausse route et de perdre votre temps, votre vie, votre énergie,  d’avoir été mise par erreur dans la peau de quelqu’un d’autre. Parce que vous avez mal et que vous ne montrez rien, parce que votre estomac se noue de plus en plus, parce que votre douleur est telle qu’un jour la mort vous semble la seule issue possible - alors, ce jour-là,  vous décidez que ça suffit, et qu’il va falloir accoucher de vous-même. Et devenir enfin ce que vous êtes.
Et puis parce que vous avez pleuré de désespoir sur un morceau de pierre qui casse, ou sur un bout d’argile qui se dérobe et que vous ne savez pas comment maîtriser, parce que vous avez haï votre ignorance,   parce que vous avez passé des nuits blanches à vous creuser la tête pour essayer de comprendre ce qui ensuite vous paraît si simple, parce que vous vous êtes  cent fois cassé les dents sur la  technique  -alors que votre cervelle est bouillonnante d’idées, parce que vous avez cent fois porté votre travail à la décharge publique… 
Pour toutes ces raisons,   chaque pas en avant vous procure une  immense joie, et de défaite en victoire et de victoire en défaite, petit à petit vous commencez à monter la pente. 
Et même si le sommet en est inaccessible, ça n’a aucune d’importance : ce qui compte, c’est la volonté d’escalade.  
Parce qu’il faut  grimper,  toujours grimper, vers le feu qui dévore, vers la lumière qui aveugle, vers l’amour qui déchire, à  la recherche des étoiles, de l’impossible perfection, de l’éternité.  
Et quand le feu commence à vous brûler, quand la lumière commence à vous aveugler, quand l’amour commence à vous déchirer, alors seulement vous pouvez dire « je vis ».
Parce que seule cette quête insatiable, quel que soit le nom qu’on lui donne ou le visage qu’on lui prête, nous donne une raison d’exister. Elle est notre seule dignité.
Je sais que ce manuel sans prétention, est perdu dans l'énorme masse des milliards de mots que les hommes ont écrits depuis la nuit des temps. Mais c'est mon manuel. Il est l'aboutissement de vingt ans de quête. Je le confie au lecteur anonyme avec tout l'amour du monde.